Portrait d'alum : Baudouin Le Charlier – Diplômé en 1973
Quel était le nom et prénom du doyen durant vos études ?
François Bodart. Mais il n’était pas doyen puisqu’il n’y avait pas encore de “faculté” d’informatique mais bien un “institut” et son “chef” s’appelait le “directeur”.
Quel genre d’étudiant étiez-vous ?
Du genre qui ne va pas souvent au cours mais qui pose beaucoup de questions quand il y va. Du coup, ça fait bizarre parfois. Surtout quand la question a été abordée à un cours précédent.
Quel est votre plus beau souvenir de vos études ?
C’était la première “promotion”, il y avait très peu d’étudiants et les professeurs eux- mêmes étaient plutôt inexpérimentés. On se la jouait “on est une grande famille”. Nous avons tous été invités à Munich par la firme Siemens qui était sur le point de créer un centre de recherche en informatique à Namur, d’abord dans les locaux de la faculté de Droit, puis à Rhisnes. On a bu beaucoup de bière dans des chopes d’un litre. Certain professeur, dont je tairai le nom, a été malade dans l’avion du retour. (Une caravelle, comme dans la chanson de Hugues Aufray.) Ça a bien fait rire François Bodart.
Quel est votre plus mauvais souvenir de vos études ?
J’ai été le premier à défendre mon mémoire. Du coup, je n’avais aucune idée de la procédure car personne n’avait pensé à me briefer. Je n’avais donc rien préparé et je pensais, erreur funeste de débutant, que les membres du jury, ayant lu mon mémoire, auraient préparé une avalanche de questions auxquelles je m’apprêtais à répondre brillamment. Déception ! Il a fallu que fasse les questions et les réponses. C’était assez nul.
Souhaitez-vous partager une ou plusieurs autres anecdotes sur vos études ?
Les facultés de Namur disposaient en tout et pour tout d’un seul ordinateur GE 400 avec 32K mots de mémoire (des mots de 24 bits), lecteur et perforateur de cartes, une imprimante “rapide” à chaine, et deux armoires de bandes magnétiques. On avait droit, au mieux, à un passage machine par jour. Ça rend soigneux. Pour perforer les cartes, il y avait une très vieille perforatrice à laquelle manquait l’indication des lettres sur certaines touches. Après avoir perforé ses cartes, il fallait les passer dans une autre machine : une “interpréteuse” pour vérifier l’absence de fautes.
Si vous deviez recontacter un professeur aujourd’hui, lequel serait-ce ?
Je suis très reconnaissant à François Bodart qui a su me supporter tel que je suis, avec mon caractère “émotif” (selon lui). Nous ne sommes pas d’accord sur grand chose mais je l’aime quand même beaucoup.
Une fois vos études terminées, quel a été votre parcours ?
J’ai tout de suite été engagé par François dans la légendaire “Équipe Grands Fichiers”, avec notamment Jean-Luc Hainaut. C’est amusant, à l’époque des “big data”, de penser qu’on se la jouait déjà “grands” fichiers. Les “bases de données” ne m’ont pas vraiment botté mais c’est à cette époque qu’a germé mon idée qu’il fallait savoir écrire un “programme correct du premier coup”. D’ailleurs, j’ai écrit un ensemble de programmes avant de partir au service militaire (et oui) que je n’ai pas pu tester car les parties écrites par d’autres n’étaient pas terminées. Il s’avéra qu’ils ont pu utiliser mes programmes sans y trouver la moindre erreur. En plus, ils avaient parfois utilisé mes modules sans respecter les préconditions et ça fonctionnait quand même. Trop fort ! Après, je suis passé assistant, chargé de cours, professeur et puis j’ai été faire un tour à l’UCL mais jamais je n’ai abandonné mon idéal : les programmes corrects par construction.
Des anecdotes à partager sur votre parcours ?
Un coup de pouce donné à Naji Habra pour lui permettre d’obtenir un poste définitif à l’institut d’informatique. Un talent qu’il a bien fait fructifier.
Des conseils pour les étudiants qui réalisent leur parcours universitaire ou qui vont sortir des études ?
Il faut faire ce qu’on aime. Comme disait quelqu’un dont le nom m’échappe : le reste vous sera donné par surcroît. Ceci dit, si vous aimez par dessus tout bidouiller, choisissez n’importe quoi mais pas des études universitaires.
Un petit mot de … Vincent Englebert
J’ai eu le plaisir de commencer mes études en 1986 avec Baudouin qui était suppléant d’Axel van Lamsweerde pour le cours d’Introduction à la programmation en première candidature, il était alors premier assistant.
Mon premier souvenir est une anecdote, futile, mais elle illustre à merveille ce qui caractérise le mieux le personnage. Baudouin nous enseignait la programmation avec le langage Pascal. Dans l’étude de sa syntaxe, il avait lourdement insisté sur le fait que le point-virgule était un séparateur d’instructions et non un terminateur comme dans d’autres langages. J’avais alors pensé que ce professeur devait être pointilleux et extrêmement rigoureux. Cela ne s’est jamais démenti par la suite. J’ai choisi tous ses cours, l’ai choisi comme promoteur et l’aurais suivi en enfer tellement le personnage était magnétique et capable de nous guider dans une quête de ce que j’appellerais : l’esthétique algorithmique. Il était en effet habité par une exigence intellectuelle qui le plaçait dans la cour des tout grands, je n’ose citer Dijkstra ou Knuth, mais pourquoi pas… Baudouin assis à la table de Knuth buvant une Houppe, leur discussion devrait être des plus intéressantes… Chose invraisemblable aujourd’hui, le cours de programmation en première année se faisait sans ordinateurs, et nous étions rodés à construire des programmes qui devaient être corrects par construction. Il nous enseignait les méthodes de construction et de démonstration. Au-delà de la correction, il nous apprenait aussi à fournir des solutions algorithmiques à des énoncés qui en effraieraient plus d’un aujourd’hui. À plus de cinquante ans, lorsque j’ai la chance de programmer, l’âme de Baudouin transpire encore entre chaque ligne de mes programmes. Aujourd’hui, j’essaye plus modestement de transmettre le souci de cette exigence à nos étudiants. Ceux qui me liront et qui se souviendront de mon insistance pour préciser les préconditions, postconditions et invariants des procédures en connaissent maintenant la raison. Merci Baudouin pour tous ces enseignements.
N.B. Après mûre réflexion, je ne te suivrai pas en enfer, tu cours trop vite pour moi ;-)
Un petit mot de … François Bodart
Mon cher Baudouin,
Je ne partage pas complètement ta remarque : “Nous ne sommes pas d’accord sur grand-chose …” Évidemment, tu as raison, si nous devions nous atteler toi et moi (pour le fun) à la conception en 2019, d’un enseignement universitaire de l’informatique orienté systèmes d’information, ce serait difficile, toi têtu et puriste, moi tenace et attaché à la prise en compte du contexte et de son évolution.
Mais, nous nous rejoignons sur un point, non négligeable : être fidèlement au service d’un projet et non de soi-même. Cette fidélité tu l’as pratiquée, avec un profond désintéressement, une grande probité tout au long de ta carrière de professeur et de chercheur et j’ajouterai, avec une certaine forme d’ascétisme : au service de tes étudiants et de tes chercheurs.
Tu aurais pu goûter aux petits à-côtés de la vie académique, dont certains se régalent souvent avec grande gourmandise, courir les colloques aux 4 coins du monde pour y présenter les variantes d’une même communication. Évidemment, tu y aurais fait florès : ta maîtrise exceptionnelle de la théorie de la programmation, tes qualités de pédagogue, ton sens de l’humour, tes qualités d’imitateur (de Eddy Merckx, en particulier), ta forme physique de marathonien !
Mais non, tu as choisi de te consacrer totalement à ton métier d’enseignant et de chercheur, restant fidèle à la rigueur de ton maître, le regretté Henry Leroy. En témoignent les remerciements de Pierre Flener, dans la publication de sa thèse de doctorat: “I further ackknowledge extraordinary assistance by Prof. Baudouin Lecharlier whose spritual patronage on the work is unmistakable and is the fruit of many fascinating discussions.”
Lorsque je te cite au début, la phrase est tronquée : “… mais je l’aime quand même beaucoup.” C’est partagé Baudouin ! Et je te suis reconnaissant - toi, la grande figure de la première promotion- d’avoir bien contribué à l’épanouissement de l’Institut, devenu Faculté, d’Informatique.